La ville des sciences sociales et la ville des aménageurs

Christian TOPALOV
EHESS

Ce cycle d'enseignements est consacré à une réflexion sur les sciences sociales qui s'intéressent aux villes, principalement la sociologie et l'histoire. Il permettra de discuter historiquement de la formation des objets de ces disciplines, dans leurs rapports avec les pratiques de l'aménagement urbain. Il présentera une série d'enquêtes concrètes sur des conjonctures d'innovation scientifique, sur la formation des vocabulaires de description des villes, sur la circulation des mots et objets culturels entre nations. Il se conclura par une proposition plus générale sur une pratique réflexive des sciences sociales.

Bio-bibliographie de l'enseignant :

Christian Topalov, sociologue, est directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (Paris) et directeur de recherche au CNRS. Il a enseigné dans plusieurs universités étrangères, notamment au Mexique, au Brésil, en Italie et aux Etats-Unis. Au cours des années récentes, il a publié Naissance du chômeur, 1880-1910 (Albin Michel 1994) et dirigé plusieurs livres collectifs : Laboratoires du nouveau siècle (Editions de l'EHESS 1999), La ville des sciences sociales (avec Bernard Lepetit, Belin 2001) et Divisions de la ville (Editions de la MSH 2002). Le Trésor des mots de la ville, dictionnaire historique plurilingue dirigé en collaboration avec Laurent Coudroy de Lille, Jean-Charles Depaule et Brigitte Marin, est sous presses aux éditions Robert Laffont (collection Bouquins).

Programme :

Mercredi 10 mars 2010, 14h00 - 17h00, salle P10, IIe GUM

Cours 1 (avec traduction simultanée)
La ville des sciences sociales : de quoi parle-t-on ?

Pour réfléchir à la façon dont les sciences sociales construisent la ville comme objet de recherche, nous n'adopterons pas le point de vue de ce qui est habituellement appelé théorie (quelle est la bonne définition de l'objet?) ou épistémologie (à quelles conditions peut-on dire le vrai sur l'objet?), mais nous partirons d'un travail empirique sur l'histoire des disciplines.
Nous observerons la diversité des constructions d'objet à l'aide de trois documents presque contemporains, écrits par des « fondateurs » supposés de la sociologie urbaine. Autant de façons de définir la ville, autant de programmes de recherche: Max Weber: "Die Stadt" (manuscrit de 1910-1913); Maurice Halbwachs: Les expropriations et le prix des terrains à Paris, 1860-1900 (thèse de 1909); Robert Park: "The City : Suggestions for the Investigation of Human Behavior in the Urban Environment" (article de 1915).

 

Jeudi 11 mars 2010, 15h00-18h00, salle P10, IIe GUM

Cours 2 (avec traduction simultanée)

La ville des aménageurs : crises urbaines et science des villes

Lorsque s'est produite au XXe siècle la consolidation intellectuelle et institutionnelle de spécialités urbaines (sociologie, géographie, histoire), ce fut très largement en recueillant un objet préconstitué hors du monde savant : la ville des aménageurs. Ceux-ci s'inscrivaient dans un projet de réforme urbaine qui concernait à la fois les choses et les hommes, mais le visage technique de l'urbanisme a fait ensuite oublier ce moment fondateur. Nous examinerons dans ce cours certaines des modalités de la genèse de la ville des aménageurs, principalement dans le premier XXe siècle, en nous interrogeant sur ses relations avec les mondes de la réforme sociale et ceux des sciences sociales. Aujourd'hui, dans la plupart des pays emportés par la vague néo-libérale, les croyances qui fondaient l'urbanisme et ses institutions sont affaiblies ou effondrées. De façon plus hypothétique, on pourra esquisser une réflexion sur les conséquences de cette situation sur le renouvellement en cours des objets des aménageurs et des savants.

 

Vendredi 12 mars 2010, 15h00-18h00, salle P10, IIe GUM

Séminaire 1 (sans traduction simultanée)

Enquête sur l'émergence d'un modèle sociologique : le « quartier ouvrier traditionnel » (1950-1965)

Au cours des années 1950, des districts urbains qu'on appelait ordinairement « slums » ou « taudis » commencèrent à être décrits comme des « communautés » par certains sociologues. L'enquête permet d'identifier le modèle descriptif qui prit forme alors : « le quartier ouvrier traditionnel ». En dépit d' une variété sensible des styles scientifiques et des vocabulaires, une vision étonnamment similaire émerge des travaux de Willmott et Young sur London (1957), de Gans sur Boston (1962) et de Coing sur Paris (1965). Cette convergence pose un problème intéressant et l'enquête s'efforce d'en éclairer les conditions sociales et cognitives. L'accent est mis sur le fait que ces savants n'appartiennent pas à la sociologie universitaire, qu'ils s'efforcent de pratiquer une sociologie à la fois critique et utile aux planificateurs et qu'ils sont témoins d'une conjoncture où la rénovation urbaine détruit massivement des quartiers populaires. Les « quartiers ouvriers » furent ainsi « découverts » au moment précis où ils étaient sur le point de disparaître.

 

Samedi 13 mars 2010, 9h00-12h00, amphi 02, Bâtiment Principal

Séminaire 2 (sans traduction simultanée)
Enquête sur les voyages français de la « garden city » anglaise (1903-1920)

Diverses représentations de la « garden city » anglaise on circulé en France au début du XXe siècle, et l'on constate que l'objet varie considérablement selon l'importateur et les acteurs qui s'en saisissent pour l'utiliser comme argument ou moyen d'action. L'enquête porte sur ces variations et les utilise comme un analyseur du système des positions au sein du monde de la réforme du logement et de l'urbanisme naissant, et de l'évolution de ce système entre 1903 et 1920. On en tirera des conclusions méthodologiques plus générales sur les transferts internationaux de produits culturels et sur les notions de « modèle » et d' « influence ».

 

Lundi 15 mars 2010, 15h00-18h00, salle P10, IIe GUM

Cours 3 (avec traduction simultanée)

Les mots de la ville : un programme de recherche pluridisciplinaire

Les mots de la ville ne font pas que décrire le monde urbain, ils contribuent à le constituer. En désignant des objets, les mots les rassemblent tout en les séparant d'autres objets, les ordonnent, les qualifient et les évaluent. Les mots réalisent constamment des opérations de classement, dans des systèmes catégoriels plus ou moins complexes. Ils ne font donc pas que dire le monde comme il est, ils constituent des formes de l'expérience et de l'action dans celui-ci. Les mots sont un héritage, ils sont aussi des créations des acteurs historiques et des outils pour agir : écrire des histoires de mots est pour nous une façon particulière et intéressante d'approcher l'histoire sociale des villes. Telle est l'hypothèse centrale d'un programme de recherche qui s'achève actuellement dans le cadre du CNRS français et qui visait à réaliser un « Trésor des mots de la ville » : un dictionnaire historique où chaque entrée est consacrée à un mot, dont on étudie les usages au cours de la période moderne et contemporaine. Sept langues européennes et certaines de leurs variantes américaines: l'allemand, l'anglais, l'espagnol, le français, l'italien, le portugais, le russe - et, en outre, l'arabe, langue d'un monde dont les interactions avec l'Europe, particulièrement autour de la Méditerranée, ont toujours été intenses.

 

Mardi 16 mars 2010, 15h00-18h00, salle P10, IIe GUM

Cours 4 (avec traduction simultanée)

Pour une pratique réflexive des sciences sociales

Depuis une vingtaine d'années, un « tournant réflexif » s'est opéré dans de nombreux quartiers des sciences sociales. Des initiatives intellectuelles diverses, en histoire, en anthropologie et en sociologie convergent dans cette direction et permettent des dialogues nouveaux entre disciplines. Le cours illustrera ces développements par des exemples et proposera de réfléchir à leurs conséquences sur la façon de pratiquer nos disciplines.

 

Mercredi 17 mars 2010, 15h00-18h00, salle P10, IIe GUM

Séminaire 3 (sans traduction simultanée)

Enquête sur les variations sémantiques et les circulations internationales du mot « villa » (XVIe-XXe siècle)

Des mots qui ont pour forme villa sont aujourd'hui en usage dans des langues latines comme l'italien, l'espagnol, le portugais ou le français, mais aussi en anglais, en allemand ou en arabe. C'est donc un mot qui a largement circulé entre des langues qui l'ont incorporé sans variation morphologique, mais seulement avec une modification phonétique de la première consonne. Son origine est connue : en latin ancien, villa désignait un grand domaine agricole, et particulièrement la maison du propriétaire et les bâtiments d'exploitation attenants. Malgré cette étymologie commune, les significations des mots dérivés de ce mot latin sont multiples : elles varient selon la langue considérée et, pour chaque langue, selon la période de l'histoire. C'est ce qui fait tout l'intérêt de l'étude de ses circulations entre des systèmes linguistiques eux-mêmes en transformation au cours du temps.

 

Jeudi 18 mars 2010, 9h00-12h00, salle P6, IIe GUM

Séminaire 4 (sans traduction simultanée)


Discussion de travaux d'étudiants

 

 

Bibliographie du cours :


Lectures conseillées à l'appui des cours et séminaires

Cours 1 - La ville des sciences sociales : de quoi parle-t-on ?
Park, Robert E. "The City : Suggestions for the Investigation of Human Behavior in the City Environment". American Journal of Sociology, vol. 20, March 1915, p. 577-612 - Réédité in : Park, Robert E.; Burgess, Ernest W.; McKenzie, Roderick D. (eds.). The City. Chicago : University of Chicago Press, 1925 (reprint Chicago : University of Chicago Press, 1967, pp. 1-46).

Cours 2 - La ville des aménageurs : crises urbaines et science des villes
Magri, Susanna; Topalov, Christian. "De la cité-jardin à la ville rationalisée : un tournant du projet réformateur. Etude comparative France, Grande Bretagne, Italie, Etats Unis". Revue française de sociologie, vol. 28, n° 3, juillet-septembre 1987, p. 417-451.

Séminaire 1 - Enquête sur l'émergence d'un modèle sociologique : le « quartier ouvrier traditionnel » (1950-1965)
Young, Michael et Peter Willmott, Family and Kinship in East London (London: Routledge & Kegan Paul, 1957; U.S. ed. Glencoe, Ill.: The Free Press, 1957; new revised ed. Harmondsworth: Penguin Books, 1962; U.S. ed. Baltimore: Penguin Books, 1962; new ed. London: RKP, 1986; U.S. ed. Berkeley: University of California Press, 1992), ch. 2, 5 et 7.

Séminaire 2 - Enquête sur les voyages français de la « garden city » anglaise (1903-1920)
Pas de lecture.

Cours 3 - Les mots de la ville : un programme de recherche pluridisciplinaire
Jean-Charles Depaule, Jean-Charles et Christian Topalov, « La ville à travers ses mots », Enquête. Anthropologie, histoire, sociologie, 1996, n°4 (La ville des sciences sociales), pp. 247-266.

Cours 4 - Pour une pratique réflexive des sciences sociales
Bernard Lepetit, Les villes dans la France moderne (1740-1840), Paris : Albin Michel, 1988, ch. 1 et 2
José Maurício A. Arruti, « Subversions classificatoires: paysans, indiens, noirs. Chronique d'une ethnogenèse », Genèses, n° 32, septembre 1998.

Séminaire 3 - Enquête sur les variations sémantiques et les circulations internationales du mot « villa » (XVIe-XXe siècle)
Pas de lecture.

Séminaire 4 - Discussion de travaux d'étudiants