Mme de Staël et ses soeurs : l’identité féminine en question au tournant des Lumières.

Stéphanie Genand
Université de Rouen

Ce cycle se propose d'analyser les difficultés rencontrées par les femmes, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, lors de leur entrée sur la scène littéraire et politique.
Si l'identité féminine reste un défi pour le siècle des Lumières, qui ne réussit pas à l'affranchir du déterminisme de la biologie, la question de l'éducation des filles devient un enjeu politique et philosophique à partir de 1760. Soucieux d'épargner aux victimes sorties du couvent la séduction des libertins ou la misère de la rue, les auteurs comme Diderot, Laclos ou Mme de Genlis réfléchissent à la place que doivent occuper les jeunes femmes à leur époque. Le débat oppose alors les théoriciens du corps, persuadés d'une incapacité « naturelle » des femmes à sortir de la sphère privée, aux défenseurs d'une identité universelle, qui dote chaque individu du droit à la raison et à l'autonomie. La Révolution voit ces enjeux se cristalliser selon deux trajectoires contradictoires : les femmes sont d'abord admises aux comités de discussion et jouent un rôle majeur dans la vie démocratique. Mais cette ouverture éphémère ne leur confère aucune légitimité : malgré les traités de Condorcet, la Terreur les exclut de la tribune et de la pensée politique. Cet interdit, qui réactive la querelle du corps et de la raison, frappe deux domaines où les femmes tentent progressivement de se trouver une place : l'analyse de l'histoire et la littérature. Mme de Staël, dont l'œuvre considérable croise ces deux domaines, concentre ces attaques et révèle, à travers son parcours polémique, la virulence des peurs du féminin au tournant du siècle. Peut-on devenir une « femme auteur » en 1800 ? Le romanesque est-il le seul territoire possible pour Mme de Staël et ses « sœurs », jumelles ou rivales, qui tentent elles aussi de composer avec l'ambiguïté du temps ? Telles sont les question qui pourront être abordées à partir de l'étude des romans staëliens comme Delphine ou Corinne, des textes de Mme de Genlis comme La Femme auteur et des extraits théoriques de l'époque.

Bio-bibliographie de l'enseignant :

Stéphanie Genand est Maître de conférences en littérature française du XVIIIe siècle à l'Université de Rouen et membre junior de l'Institut Universitaire de France (promotion 2010).
Spécialiste du roman de la fin du siècle, ses travaux portent sur la question des liens entre littérature et histoire au tournant des Lumières. Après avoir envisagé cette problématique dans le récit de séduction (elle a notamment publié Le Libertinage et l'histoire. Politique de la séduction à la fin de l'Ancien Régime, Oxford, SVEC, VF, 2005), elle s'est intéressée aux romans de l'émigration et à la représentation de l'histoire sous la Révolution. Ces recherches ont donné lieu à une réédition intitulée Romans de l'émigration (1797-1803), Paris, Champion, « L'âge des Lumières », 2008. Membre du comité actif de la Société des études staëliennes, elle dirige le second volume des Œuvres complètes de Mme de Staël (De la littérature, Essai sur les fictions et autres essais critiques, OC, I, 2, Champion, à paraitre) en collaboration avec Jean Goldzink. Auteur d'une trentaine d'articles consacrés à l'articulation entre littérature et politique sous la Révolution, aux problématiques de l'émigration et à la confusion des identités dans l'entre-deux siècles, elle prépare également une édition critique d'Aline et Valcour ou le roman philosophique de Sade (Classiques Garnier).

Programme :

Mercredi 23.03.11 salle П-10, 2 ГУМ 15.00 - 18.00

Cours n°1 (avec traduction simultanée)
L'énigme du féminin : un paradoxe des Lumières et de la Révolution (1760-1800).

Jeudi 24 mars 24.03.11 salle П-10, 2 ГУМ 15.00 - 18.00

Cours n°2 (avec traduction simultanée)
Révolution et rupture : le parcours « excentrique » de Mme de Staël.

Vendredi 25.03.11 salle П-10, 2 ГУМ 15.00 - 18.00

Séminaire n°1 (sans traduction simultanée)
L'éducation des femmes : de la marge au centre.
Lecture commentée d'un passage de La Religieuse de Diderot et des Liaisons dangereuses de Laclos.

Samedi 26.03.11 salle 01, Главное здание 9.00 - 18.00

Séminaire n°2 (sans traduction simultanée)
De la fiction au traité : la diversité staëlienne.
Lecture commentée d'un passage de Corinne et des Circonstances actuelles qui peuvent terminer la Révolution.

Lundi 28.03.11 salle П-10, 2 ГУМ 15.00 - 18.00

Cours n°3 (avec traduction simultanée)
Delphine (1802) ou le roman du scandale.

Mardi 29.03.11 salle П-10, 2 ГУМ 15.00 - 18.00

Cours n°4 (avec traduction simultanée)
Le problème de la « femme auteur » au tournant du siècle.

Mercredi 30.03.11 salle П-10, 2 ГУМ 15.00 - 18.00

Séminaire n°3 (sans traduction simultanée)
Défier l'opinion et l'histoire :
Lecture commentée de deux passages de Delphine de Mme de Staël.

Jeudi 31.03.11 salle П-12, 2 ГУМ 9.00 - 12.00

Séminaire n°4 (sans traduction simultanée)
Douleurs et compromis de la gloire :
Lecture commentée de deux passages de La Femme auteur de Mme de Genlis.

 

Bibliographie du cours :

Corpus :
STAËL (Germaine de), Delphine, Garnier-Flammarion, réed. 2000.
- Corinne ou l'Italie, Gallimard, Folio, 1985.
GENLIS (Caroline-Stéphanie-Félicité du Crest de), La Femme auteur, Gallimard, Folio, 2007.

Références :
Ouvrages

BESSIRE (François) et REID (Martine), Madame de Genlis. Littérature et éducation, Publications des Universités de Rouen et Le Havre, 2008.
BONNET (Jean-Claude), L'Empire des Muses. Napoléon, les Arts et les Lettres, Paris, Belin, 2004.
LAQUEUR (Thomas), La Fabrique du sexe. Essai sur le corps et le genre en Occident, Gallimard, Paris, 1992.
PLANTE (Christine), La Petite sœur de Balzac, Essai sur la femme auteur, Seuil, Paris, 1989.
REID (Martine), Des Femmes en littérature, Belin, « L'extrême contemporain », Paris, 2010.

Articles
CUSSET(Catherine), « Sophie Cottin ou l'écriture du déni », Romantisme, 77, 1992.
DELON (Michel), « Combat philosophique, préjugés masculins et fiction romanesque sous le Consulat », Raison présente, n°67, 1983, p. 67.
LOTTERIE (Florence), « Autorité ou repentir ? Promotions paradoxales de la « femme auteur » chez Madame de Genlis et Madame Dufrénoy », Orages n°9, mars 2010, p. 41-59.
- « Un aspect de la réception de Delphine : la figure polémique de la « femme philosophe », Cahiers staëliens, 57, 2006, p. 119-138.
MOZET (Nicole), « La femme auteur comme symptôme », Textuel 34/44, 13, 1984.
PLANTE (Christine), « La place des femmes dans l'histoire littéraire : annexe, ou point de départ d'une relecture critique ? », Revue d'histoire littéraire de la France, 2003-3.